Le magazine
du Centre
du Théâtre
d’Aujourd’hui

graphisme Mathilde Corbeil

Alors que nous cherchions une manière d’aborder la pièce ColoniséEs d’Annick Lefebvre, nous avons demandé à l’auteure si elle avait de folles envies en tête. C’est avec enthousiasme et empressement qu’elle nous a proposé de rencontrer Jean-Claude Germain, figure de pionnier dans l’histoire du CTD’A et de la dramaturgie québécoise, pour une entrevue autour de la question des mythes au Québec. La consigne pour Annick Lefebvre était claire : livrer les propos de Jean-Claude Germain dans son propre style inimitable. Elle a donc pris la décision de placer les propos du grand homme dans un monologue lefebvrien digne de ce nom ! Voici le texte inédit qui en découle, fruit d’un entretien de près de deux heures de conversation passionnée.

La fille qui écrit l’article

L’équipe du CTD’A m’a dit : « Heille Lefebvre, comment est-ce que tu veux aborder les enjeux de ColoniséEs (la pièce qu’on aimerait bien que tu achèves d’écrire avant qu’on menace de te faire achever à grands coups de crowbar par quelqu’un qui a des tatous dans face !) dans le prochain 3900 ? » C’est là que j’ai répondu que j’avais la conviction qu’il fallait (comme je m’efforce de le faire dans ma pièce pas-pire-pas-finie-mais-qui‑m’est-quand-même-déjà-viscéralement-tatouée-dins-tripes), interroger l’Histoire. Celle de ce métier que j’exerce avec autant de sacro-sainte-et-souveraine assurance que de méga-maudit-hostie‑d’enfant-de-nanane de sentiment d’imposteur. Interroger l’Histoire. Celle de ce théâtre qui se « quinquagénise » cette année. Celle de ce CTD’A où je me sens outrageusement chez moi. Possible que, si la tendance se maintient, je me mette à m’y promener en bobettes en mangeant des chips barbecue, en écoutant du bon vieux Isabelle Boulay pis en buvant du rhum à même le goulot. Mais comment faire d’une pierre trois coups ? À qui poser, en même temps, la question de l’Histoire du Québec, de celle du CTD’A pis de celle de l’écriture dramatique ? À un journaliste ? Un historien ? Un dramaturge ? Un animateur de troupe ? Un professeur ? Un cerveau bouillonnant ? Un ardent défenseur de la langue française ? À quelle figure emblématique de l’Histoire du Québec des 50 dernières années poser la question de notre rapport aux figures emblématiques du Québec des 50 dernières années ? À quel modèle est-ce que je la dois ma face de petite crisse, mon irrévérence crasse, ma « brocheàfouinnerie » fouillée, mon entêtement (maladif ?) à écrire pour des actrices pis des acteurs précis(e)s, pis mon obstination (maladive ?) à tenter de décortiquer notre ADN social, politique pis historique ? À qui je la dois ma tribune d’aujourd’hui au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui ? À qui je le dois, mon ardent désir de forniquer avec la langue/​avec ma langue/​avec celle des autres — pis par tous les orifices — jusqu’à ce qu’on en jouisse collectivement ? À quelle légende-encore-vivante est-ce que j’arrive si je remonte le fil de mes nombreuses filiations ? Eh ben ! j’arrive à Jean-Claude Germain. Incontestablement à Jean-Claude Germain. On m’a dit : « Attache ta tuque — pis peut-être même ta tête, avec de la broche, Lefebvre, parce qu’interviewer Jean-Claude Germain c’est pas de la tarte, ça y va par là, ça part dans tous les sens, ça va « serialkillerement » te faire rusher du cerveau ! » On m’a dit : « Jean-Claude parle beaucoup, ses mots tourbillonnent dans l’espace. Il digresse, s’emporte, se lance dans de longues tirades épormyables, s’enflamme, rigole, revient à son idée initiale puis repart de plus belle. » Pis ça là, cette réputation-là, eh ben ça avait tout, mais absolument TOUT, pour me séduire. Parce que moi, les monologues des autres, ça me fait pas peur ! Même que ça me sauve. C’est que mon extrême timidité me paralyse encore trop souvent la parole. Pis que j’ai sempiternellement peine à formuler des phrases sujet-verbe-complément sans m’effondrer au milieu. Mais là, dans ce contexte-là, je m’en contrefichais solide de mes dysfonctions stupides d’extraterrestre de la communication. Parce que j’étais certaine que Jean-Claude allait leader ça comme un chef ! Pis c’est — oh chance, oh joie, oh extase — exactement ça qui s’est produit. Par contre, ce qui me fout la crisse de grosse chienne, dans le moment, ce qui me fait me réveiller en panique à trois heures du matin, ce qui me fait métaphoriquement chier dans mes shorts pis littéralement faire de l’eczéma, c’est d’avoir, dans ColoniséEs, à mettre des mots dans la bouche de Pauline Julien pis de Gérald Godin. Pas envie de les faire se retourner dans leurs tombes. Mais pas envie de retourner ma chemise pour autant. Alors, piler sur ma peur pis me colletailler à leurs légendes. Aussi, puisque je me suis déjà mise considérablement dans la merde en tentant de relever ce périlleux défi, pourquoi ne pas m’y enfoncer davantage en rendant compte de ma rencontre avec Jean-Claude-le-volubile, sous forme de monologue lefebvrien au long (voire au très long) souffle claudélien ?(1)

« Il y a un passage dans sa biographie où je dis : Donne pas un téléphone à Pauline Julien parce qu’elle va te harceler…’ Pis effectivement, elle avait des qualités pis des défauts, comme tous les gens bien, mais elle avait surtout un don extraordinaire pour l’amitié. »

L’homme immense à qui l’on doit d’être ici

La jeune femme qui m’interviewe m’explique que sa nouvelle pièce met en scène les personnages de Pauline Julien pis de Gérald Godin comme narrateurs omniscients du Québec des 50 dernières années. Elle me dit que son texte met en parallèle leurs deux destins avec celui, actuel, d’une jeune femme qui a vécu intensément les évènements du printemps érable. Bon, d’accord, elle me l’explique en balbutiant des monosyllabes confus et inaudibles, toute tétanisée qu’elle est de devoir se mesurer à mon verbe démesuré. Mais on se fiche de comment est-ce qu’elle me les pose, ses questions. Puisque ce qui l’intéresse, c’est d’obtenir mon avis sur notre rapport aux mythes. Et ce qui m’intéresse, moi, c’est de l’intéresser à ce que j’ai à lui raconter. Annick se dit qu’en affirmant qu’on a plusse de facilité à octroyer le statut de figure mythique à des joueurs de hockey qu’à des personnalités comme Pauline et Gérald, elle va réussir à provoquer une vive réaction chez moi. Et elle se dit, surtout, que cette réaction-là va être suffisante pour me faire parler pendant une heure. Mais Annick se trompe ! Parce que son affirmation est suffisante pour me faire parler pendant PLUSIEURS heures ! En fait, la notion de mythe, ça se décide au cas par cas, ça dépend de ce que représente la personne. Michel Louvain, c’est un mythe. Mais y a une signification particulière à ce mythe-là. Au niveau historique, y a beaucoup de gens qui en sont, mais qu’on connait pas forcément. Je demande à Annick si elle connait Mercier. Pis elle me dit qu’elle le connait. Mais tout ce qu’Annick Lefebvre connait d’Honoré Mercier, c’est le pont qui porte son nom. Pourtant, Mercier, c’est extrêmement important pour définir le Québec de la fin du XIXe siècle. C’est un personnage tragique extraordinaire, un symbole de l’écrasement par les différents partis, pis en même temps, il cristallise des choses qu’on a défendues par la suite. Ce personnage-là y est passé complètement inaperçu. Au niveau théâtral, y a comme une sorte d’oubli, pis en même temps, c’est un peu naturel, parce que le théâtre, c’est le jeu de l’éphémère. Donc on a un problème avec la mémoire. Mais ce que j’ai remarqué, dans la relation entre Pauline pis Gérald, c’est qu’ils formaient un genre de couple merveilleux, fantastique, extraordinaire, dans lequel chacun avait sa façon d’être. Sa singularité. Annick Lefebvre me dit qu’il faudrait le déboulonner, ce mythe-là. Pis c’est, je pense, le mot le plus long qu’elle va réussir à me dire : « dé-bou-lon-ner ». Un mot de quatre syllabes… Mais moi, je le déboulonnerais pas du tout, ce mythe-là. Parce qu’on a besoin de ces gens-là. Dans le cas de Gérald, on voit surtout le politicien, mais il proposait une poésie populaire, c’est ça qui est intéressant. Que ces éléments-là demeurent, pis que l’histoire d’amour apporte des nuances. C’était deux personnalités très fortes qui étaient ensemble. Je demande à Annick si elle connait La non-demande en mariage de Brassens. Elle me dit qu’elle connait la chanson, pis, c’est bizarre, mais je la crois plusse que lorsqu’elle me dit qu’elle connait Mercier ! Eh ben La non-demande en mariage, c’est la formule de base de notre génération. C’est une rencontre entre deux personnes qui s’aiment éperdument, mais on n’est pas dans la dynamique du mariage du tout. Ce sont des couples avec des pensées fortes. Pis aussi, Pauline, elle avait un don extraordinaire pour s’entourer d’auteur(e)s, de parolier(e)s, de poètes. J’ai écrit des chansons pour elle. Annick Lefebvre dit qu’il y a un passage dans sa biographie où je dis : « Donne pas un téléphone à Pauline Julien parce qu’elle va te harceler… » Pis effectivement, elle avait des qualités pis des défauts, comme tous les gens bien, mais elle avait surtout un don extraordinaire pour l’amitié. Donc elle a permis à des générations — entre autres la mienne, de rencontrer des gens qui étaient plus vieux ou plus jeunes qu’eux, dans des partys qu’elle faisait chez-elle — , mais des gens de la même obédience là, pas des fédéralistes ! Elle était capable de créer ce genre de lien-là. Pis je l’ai engagée, moi aussi, Pauline, pour jouer dans Rodéo et Juliette. Jouer pis chanter. Nous, on faisait du théâtre musical, pas de la comédie musicale.

C’est pas la même structure. La musique c’était très important, à ce moment-là, pour les Québécois, parce que l’expression des sentiments pouvait se traduire par la chanson. Ça permettait de changer de registre dans un spectacle. Pis aussi, j’ai toujours utilisé les personnages de femmes pour qu’elles fassent les discours les plus importants dans mes spectacles. Avant ça, les femmes c’était des observatrices. Ça avait pas de maudit bon sens, mais c’était comme ça. C’est parce qu’on l’a fait — de manière un peu détournée au début — qu’actuellement, vous pouvez vous permettre de le faire directement, au niveau de l’écriture. Annick Lefebvre me parlait de figures mythiques, tout à l’heure… On en a des figures mythiques, mais on n’est pas capable de voir qu’on en a. À l’intérieur de notre passé, y a des personnages intéressants, à condition qu’on les décape un peu, qu’on leur retire leur grande couche héroïque. Je demande à Annick si elle connait la grande paix de Montréal de 1701. Je me prononcerai pas sur le niveau de véracité de sa réponse, parce qu’elle a des amis autochtones pis que mon opinion sur le sujet pourrait la faire mal paraitre… N’empêche qu’on est les seuls à avoir signé une paix avec l’ensemble des tribus. Une paix qui a tenu jusqu’en 1760.

« J’ai toujours utilisé les personnages de femmes pour qu’elles fassent les discours les plus importants dans mes spectacles. »

C’est utile à savoir, ça, dans le contexte social pis politique actuel. De pouvoir se tourner vers le passé pis de se dire : « Quand même, il va falloir faire attention ! » C’est dans des contextes comme ceux-là que, pour moi, les personnages de l’Histoire deviennent intéressants. Mais c’est problématique parce que quand, dans la salle, tu as de moins en moins de gens avec des connaissances historiques, tu peux quand même pas prendre sur toi de faire leur éducation. Le rôle du théâtre se situe ailleurs. Mais c’est quand même la base du théâtre d’avoir un rapport direct avec l’Histoire du public qu’il a devant lui. Pis c’est normal qu’un auteur fasse une pièce sur la famille, mais crisse, levez-vous de bonne heure pis trouvez-en une bonne ! Remarque que, même ça, ça suffit pas, parce que peut-être que votre show de famille, ça fait 50 fois que les gens dans la salle l’ont déjà vu pis qu’y veulent pus rien savoir. C’est la même chose pour les pièces sur les immigrants. Tout le monde fait une première pièce sur les difficultés de l’immigration. C’est important, mais toi, comme spectateur, tu te dis : « T’as-tu d’autres choses ? » Parce qu’y a quand même un historique des spectacles qu’y faut pas oublier. Pour moi, le théâtre doit demeurer critique. Si y a pas cet élément-là, on fait juste reconduire des situations. Mais à quoi bon ? La différence entre votre génération pis la mienne, c’est que nous, on parlait pas de nous, on parlait de la génération d’avant nous. Vous, comme vous parlez de vous, vous créez une situation pénible pour la génération qui va vous suivre. Pis ça peut pas se limiter à être un rejet de l’autre génération. Maintenant, on est dans l’ère de l’acteur. Tout le monde sait qu’il joue. Pas besoin d’une scène pour être en représentation. Quand tu vas pour te chercher une job, tu joues, pis tu vas être jugé sur ta qualité de jeu plusse que sur ta vérité. Maintenant, tout le monde a conscience qu’il existe pis qu’il a une image. Une image véhiculée par les médias, aussi, qui est importante pis avec laquelle il peut jouer. Y a un tas de types de théâtre qui continuent de perdurer pis qui correspondent plus à rien. Moi, j’ai fait un théâtre politique, mais j’ai jamais fait un théâtre partisan. On n’est pas là pour dire de voter pour quelqu’un, on est là pour leur indiquer que « peut-être que ». Le théâtre se termine toujours sur une ambiguïté. C’est pas blanc ni noir, mais on veut pas aboutir au gris non plus. Les plus dangereux, maintenant, c’est ceux qui prétendent à la vérité, ou qui prétendent en incarner une. Pis, pour finir, y a une question que j’aurais envie de poser, par rapport au printemps érable : « Comment ça se fait que quelque chose d’aussi brillant que ça, ça a rien donné ? » Je suis admiratif de ce qui s’est passé en 2012, moi. Je voulais vraiment poser la question, ici, maintenant. La question de votre sentiment de réussite, d’échec ou de totale indifférence par rapport au printemps érable. Parce que j’ai le sentiment que c’est pas vrai qu’on overdose d’en entendre parler. Pis je sais que c’est aussi ce qui traverse la pièce d’Annick. Je sais que cette question-là, c’est même ce qui traverse Annick de bord en bord pis au sens large. Que c’est récurrent, obsédant, pis qu’elle s’apprête à se sortir tout ça des tripes pour le transformer en théâtre épique, politique pis sensible. Pour le moment, elle me regarde, ébaubie, lessivée pis flabbergastée qu’autant de mots puissent sortir de la bouche d’un seul homme. Elle se dit qu’elle mérite d’aller boire des bières avec les filles des comms du théâtre pour récompenser ses neurones de ne pas s’être fissurés devant moi, mais bientôt, je sais qu’elle va écrire des gros pavés de monologues pleins de fiel, de soulèvements sociaux, d’amitiés salvatrices, de références à avant sa naissance pis de phrases longues comme le bras. Pis je sais, surtout, qu’au centre de tout ce qui va lui sortir de la plume, bientôt, il va y avoir Pauline Julien, Gérald Godin, le printemps 2012… pis un peu (beaucoup) de notre rencontre.

(1) C’est pas moi qui le dit, que j’ai un long (voire un très long) souffle claudélien. C’est Jean-Claude himself. Pis je vous le rapporte pas pour me flatter la bédaine, gonfler mon ego pis avoir une bonne raison de pus porter à terre pour un hostie de boutte, mais parce que c’est si rare, de nos jours, que quelqu’un ait assez de perspective historique sur le travail d’une autrice ou d’un auteur pour qualifier son souffle de « claudélien »… Un souffle mouawadien, ça oui, ça se peut, on me l’a déjà fait, mais un souffle claudélien, hélas, rares sont celles et ceux qui peuvent pousser si loin la comparaison…

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