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Pour ce numéro 9 de notre magazine 3900, Sylvain Bélanger a posé 6 questions à Sébastien David, auteur et metteur en scène de Dimanche napalm. Le public du CTD’A connait déjà Sébastien qui avait remporté entre autre le Prix auteur dramatique, remis par les spectateurs du CTD’A à la saison 10/11 avec son texte En attendant Gaudreault précédé de Ta yeule Kathleen. À la fois auteur, metteur en scène et comédien, on a pu voir le voir sur différentes scènes montréalaises et en Europe. Il fait aujourd’hui son entrée dans la salle principale du CTD’A avec une distribution éclatante, parfaitement à la hauteur de son texte.

LA SŒUR
On joue-tu à « Ta vie c’est de la marde » ? […]
C’est un jeu que j’ai inventé
C’est facile
Tu nommes des choses sur la vie de l’autre
Que tu trouves qui sont de la marde
L’autre fait la même chose pour toi
Pis celui qui gagne
C’est celui qui pleure pas

1 — Avec Dimanche napalm, tu m’as confié vouloir dénoncer le manque d’autonomie de ta génération. Que veux-tu dire par là ? Ta génération serait dépendante de qui ou de quoi ?

C’est étrange ce que je vais dire, mais notre manque d’autonomie m’est apparu quand le printemps érable a éclaté, c’est-à-dire au moment où nous avons tenté de devenir autonomes. Et quand je parle d’être autonome, je parle de cette faculté de reconsidérer, de requestionner les règles fixées par un milieu social. Et c’est exactement ce qui s’est passé pendant cette courte période. Je me rappelle que je me demandais souvent pourquoi on n’avait pas fait ça avant… au lieu d’être pseudonostalgiques de l’effervescence de la « Révolution tranquille ». Les périodes de bouleversements sociaux sont si rares au Québec et pendant le printemps érable, c’était une des premières fois que nous vivions une expérience collective significative qui laissait entrevoir un possible changement de paradigme.

Bon, l’issue s’est avérée décevante. Et tout le monde a repris ses activités, certains heureux du calme revenu et plusieurs plutôt amers et déçus. C’est là que j’ai placé le personnage du fils dans Dimanche napalm, devant l’échec d’une autonomie collective et de sa propre autonomie.

Alors, pour revenir à ta question, je ne sais pas de qui ou de quoi nous dépendons, mais à cette ère où l’action citoyenne autonome est méprisée, j’ai bien l’impression qu’on souhaite que ma génération et les suivantes soient bien serviles et qu’elles fassent preuve de « gros bon sens ».

2 — Dans le spectacle En attendant Gaudreault précédé de Ta yeule Kathleen que tu as présenté en 2011, tu laissais littéralement exploser dans la salle Jean-Claude-Germain une parole crue, tels un cri primal, une musique urbaine savamment orchestrée. Dans Dimanche napalm, tu décides maintenant de bâillonner ton personnage principal du fils pour que se cognent à lui les vies et les monologues de tous les autres membres de la famille. Ce procédé est le détonateur premier de cette pièce. Parle-nous de ce choix.

J’aime bien ton choix de mot : détonateur. Si la pièce commence avec le retour du fils dans le nid familial, c’est son silence qui s’impose comme le réel détonateur du récit. Et je dirais même qu’au fur et à mesure que j’avançais dans l’écriture, je me suis rendu compte que le véritable personnage principal de la pièce, c’était lui, le silence. D’ailleurs, j’ai fait en sorte qu’il soit visible dans le texte, on peut le voir apparaitre de cette façon :

LE FILS

En explorant les possibilités de ce mutisme, j’ai décidé d’être plus radical et d’aller au bout de cette proposition : j’ai fait en sorte que chacune des scènes oppose toujours le fils face à un seul personnage. À proprement parler, on dirait que ce sont des scènes à deux, mais il s’agit en fait d’une suite de monologues ou de « dialogues à sens unique » comme je me plais à les appeler. De cette façon, j’ai évité le conflit traditionnel dans lequel deux points de vue s’affrontent et causent une réflexion par leur « entrechoc ». En faisant dialoguer quelqu’un avec un interlocuteur muet, je ne m’attarde pas à exposer les nuances d’un point de vue, mais plutôt à révéler le discours épidermique que celui qui parle porte en lui. Je crois que c’est là l’une des particularités de mon texte.

Bien évidemment, cette décision formelle allait amener son lot de défis comme celui, par exemple, de créer la nature d’un personnage muet en le révélant seulement à travers la bouche des autres. Plus la pièce avance, plus on finit par en savoir davantage sur la situation et la chute du fils. Insidieusement, son silence évolue et se matérialise peu à peu comme un catalyseur de pulsions. Il n’y aura pas ici révélation de mystérieux secrets de famille qui ressurgissent d’un sombre passé ; je me suis intéressé davantage à révéler les pulsions intrinsèques du présent de mes personnages et à observer comment elles se cognaient les unes aux autres.

3 — Ce personnage volontairement muet du fils fascine de par ce qu’il retient et ne dit pas et qui nous obsède de plus en plus au fil de la pièce. Selon toi, qu’est-ce qui l’habite ? La colère ? L’ennui ? La résignation ?

Évidemment, comme le mutisme du fils est volontaire, il porte en lui une certaine forme de contestation. Ce qui est fascinant, c’est qu’être volontairement muet est un acte assez contradictoire parce que c’est à la fois très violent, mais aussi très passif. Alors qu’est-ce qui habite le fils et qui le pousse à faire la grève des mots ? Je répondrais que j’ai fait en sorte que les réponses varient au gré de la pièce et que son silence devienne multidimensionnel. 

En fait, j’ai voulu aller plus loin que la simple justification psychologique de ce silence-là. Je ne voulais surtout pas que ma pièce devienne morale ou didactique. J’ai alors beaucoup travaillé sur son effet sur les autres. Le Père, la Mère, la Sœur et Kim interprètent chacun à leur façon la teneur de ce silence : ils y projetteront de la désillusion, de la mauvaise foi, de la vengeance, de l’ingratitude, de la honte ou encore de la colère. Je souhaite que le spectateur soit forcé lui aussi de prendre position pour l’interpréter à son tour.

L’action de la pièce culminera à un fameux Dimanche poutine, une tradition familiale qui réunit tout le monde autour du mets national, évoquée tout au long du récit. Le fils va-t-il finir par dire quelque chose ? Ou va-t-il plutôt rester muet ? Je me tairai moi-même ici, il faudra venir voir le spectacle pour le savoir.

4 — Dans Dimanche napalm, tous les membres de la famille sont confrontés à un destin décevant qu’ils voudraient réinventer. Il semble y avoir un monde entre leur volonté d’agir et les gestes qu’ils posent. Sont-ils plus près de la résignation ou de l’émancipation, de l’inertie ou du changement ?

Tous mes personnages ont le désir de s’émanciper et ce désir est accentué par la présence du fils. Cette présence muette, qui a elle-même raté son émancipation, a un effet sur les membres de la famille qui les pousse à agir. Elle crée une certaine urgence. Le problème, c’est qu’ils ne savent pas comment faire. En fait, chacun va tenter d’assouvir ses désirs individuels, mais ces désirs n’iront pas toujours dans le sens de la famille, donc de la collectivité.

Et autour d’eux, il y a la grand-mère qui se promène en chaise roulante électrique, celle que plus personne ne prend le temps d’aller voir dans son CHSLD… C’est un personnage qui est arrivé beaucoup plus tard dans l’écriture. En fait, à la mort de ma grand-mère l’an dernier, j’ai écrit un monologue qui résume sa vie et il a naturellement pris place dans Dimanche napalm. Ma grand-mère ne s’est jamais réellement émancipée malheureusement. Dans son monologue, j’y décris ce Québec d’avant, celui dans lequel on était né pour un petit pain, sous l’emprise de la religion catholique. C’est comme si c’était le passé qui venait hanter la famille.

J’ai longtemps sous-titré la pièce comme étant une « tragédie des pétards mouillés » ; mes personnages se lancent dans l’eau sans savoir qu’ils vont pogner un gros flat. Il y a quelque chose de pathétique dans le récit, mais c’est complètement assumé. Mes textes naviguent souvent entre l’humour et le drame.

5 — Écrire sur la famille semble être un passage obligé pour beaucoup de dramaturges, et pas seulement au Québec. Toi, qu’est-ce qui t’a poussé vers ce thème ? Voulais-tu parler d’un malaise intergénérationnel que tu pressens ? Te libérer de quelque chose ? Faire une mise au point plus personnelle ?

Mes personnages sont généralement des êtres marginaux, sans famille, souvent esseulés et socialement malhabiles. J’ai beaucoup exploré les contours d’une misère sociale urbaine dans mes œuvres précédentes et c’est la première fois, avec Dimanche napalm, que j’écris une pièce dont les personnages sont les membres d’une famille. Et je dirais que ça s’est fait assez naturellement. Je lis beaucoup de dramaturgies étrangères notamment du Jon Fosse ou du Daniel Keene qui mettent souvent en scène des familles sans pour autant en faire le thème principal de leurs œuvres. Ce qui est également mon cas ici. Je crois que lorsqu’on place une famille sur une scène au théâtre, c’est notre société au grand complet qui est convoquée.

On retrouve, dans Dimanche napalm, ce malaise intergénérationnel que j’ai ressenti après le printemps érable où la jeunesse était considérée, par une grande partie du Québec, comme ingrate et irresponsable. Pour le bien de mon texte, j’ai grossi le trait en opposant un fils anciennement très militant et contestataire face à des parents plutôt enracinés dans un certain confort et une certaine indifférence. Sans vouloir porter de jugement, j’avais envie d’évoquer cette médiocrité qui sévit de plus en plus, ici et ailleurs, et qui tend la population à tenir un discours de plus en plus utilitariste, qui se range du côté du « gros bon sens », pour éviter de requestionner les façons de faire.

6 — Tu développes ta démarche de metteur en scène conjointement à ta démarche d’auteur qui est très fortement axée sur la musicalité d’une langue des petites gens. Comment ton travail de metteur en scène révèle ton écriture ? 

Mes textes sont des partitions touffues, délivrées de ponctuation, et mettent en relief une urgence de la pensée, une détresse de dire. Je passe d’ailleurs énormément de temps à travailler l’architecture de ma langue, son rythme, son souffle. Si elle était dure, âpre et généreusement saupoudrée de sacres dans mes premières œuvres, elle l’est moins ici. Mais tout de même, j’ai continué à chercher la musicalité et la poésie ordinaire de cette langue de banlieue.

Pour moi, comme le théâtre est avant tout un art de la parole, je cherche à mettre cette parole à l’avant-plan le plus possible, à faire en sorte qu’elle génère à elle seule le mouvement d’un spectacle. C’est pour cette raison qu’il y a souvent des corps immobiles dans mes mises en scène. J’essaie aussi de m’éloigner de la mécanique du réalisme, cherchant plutôt comment faire exulter la théâtralité de l’ensemble.

Dimanche napalm représente d’ailleurs un défi excitant pour moi à cause de sa grande fragmentation ; une quarantaine de tableaux se suivent comme un casse-tête qui se construit. J’ai très hâte de me retrouver en salle de répétition avec cette formidable distribution pour trouver ce qui est en marche et qui ne s’arrête pas !

PS : Pour l’anecdote, j’ai choisi le titre de la pièce alors que je jouais dans Ce samedi il pleuvait d’Annick Lefebvre aux Écuries. Le « dimanche » de Dimanche napalm fait un léger clin d’œil à cette œuvre qui se déroule elle aussi dans une banlieue non loin de Montréal.

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