Toccate et fugue, c’est l’histoire d’un party. L’histoire d’une gang d’amis, de tout ce qui les rassemble et les éloigne : leurs envies, leurs non-dits, leurs jalousies et leurs rancoeurs. Pour incarner les personnages créés par Étienne Lepage, le metteur en scène Florent Siaud a réuni une formidable distribution. Francis Ducharme, Maxime Denommée, Sophie Cadieux, Larissa Corriveau, Karine Gonthier-Hyndman et Mickaël Gouin ne sont pas seulement des comédiens évoluant ensemble, ils se connaissent déjà et forment eux-mêmes un groupe uni. Nous avons donc décidé de les mettre à l’épreuve en leur posant la question fatale : « Qu’est-ce qui fait que l’autre est un meilleur comédien que toi ? » Un bon exercice d’humilité !
De : 3900
À : Francis Ducharme
Cher Francis Ducharme,
Qu’est-ce qui fait que Maxime Denommée est un meilleur comédien que toi ?
10 BONNES RAISONS POUR PROUVER QUE MAXIME DÉNOMMÉE EST UN MEILLEUR COMÉDIEN QUE MOI
- Il a les cheveux frisés.
- Il possède un espèce de charme espiègle de gamin et d’homme avec des yeux rieurs et tristes à la fois qui ont compris des choses que je ne peux même pas soupçonner.
- Il a un instinct de feu.
- Il a une face trop bien architecturée, ce qui fait que la lumière se pose parfaitement sur son visage en scène.
- Il pratique ce métier d’en dedans et du dehors puisqu’il est également metteur en scène, ce qui lui permet d’avoir un recul et une compréhension de ce qu’il propose sur le plateau.
- Il lance ses répliques comme si c’était des poignards. Dans nos dents.
- Il a une de ces dégaines. Cool et bouillant. En même temps.
- Il a l’air d’un chat mouillé qu’on veut adopter.
- Il nous fait croire tout ce qu’il veut.
- Je ne l’ai jamais vu pas bon dans tous les shows que j’ai vus de lui. C’est quand même incroyable. C’est comme s’il portait le sceau du 100 % garanti.
Mais bon… Une chance que j’ai les cheveux longs.
— Francis Ducharme
De : 3900
À : Maxime Denommée
Cher Maxime Denommée,
Qu’est-ce qui fait que Francis Ducharme est un meilleur comédien que toi ?
LE NOUVEAU DANDY
Francis Ducharme est l’incarnation même du mot cool. Il est beau, irrévérencieux, le regard profond et mystérieux, les cheveux longs qui luisent d’une négligence volontaire, bien dans son corps… Le talent de cet acteur-danseur suinte par tous les pores de sa peau.
Je l’ai vu jouer au théâtre en magistral Perdican, je l’ai vu danser complètement nu, libre et abandonné. Toutes ces qualités et cette assurance qu’il dégage… on pourrait facilement se dire qu’il doit être prétentieux, désagréable et égocentrique… Eh bien non, même pas !
J’ai travaillé avec lui sur de nombreuses éditions du spectacle Poésie, sandwichs et autres soirs qui penchent de Loui Mauffette et j’ai découvert un gars simple, à l’écoute, généreux, drôle. Et chaque fois il me surprenait, m’impressionnait. Que ce soit en dansant, avec sa complice Clara Furey, un extrait de la Pornographie des âmes, un moment fort du spectacle, ou dans sa magnifique interprétation du Bateau ivre d’Arthur Rimbaud. Ce poème gigantesque qu’il avait appris par cœur entre le Palais des Papes et le Japon en pleine tournée d’un spectacle de danse chorégraphié par un certain Sidi Larbi Cherkaoui qui avait sélectionné Francis parmi les meilleurs danseurs au monde. Pas si pire pour un petit gars de Rouyn-Noranda.
Pour toutes ces raisons, et pour l’intensité de chacune de ses performances, il ne fait aucun doute que Francis Ducharme est un meilleur acteur que moi.
— Maxime Denommée
De : 3900
À : Larissa Corriveau
Chère Larissa Corriveau,
Qu’est-ce qui fait que Sophie Cadieux est une meilleure comédienne que toi ?
Pour comprendre un phénomène qui nous surpasse, rien de tel que d’en déceler l’origine.
Faisons ici l’exercice avec ce mystère merveilleux qu’est Sophie Cadieux.
Mes fouilles virtuelles me révèlent d’abord que le nom de cette démone serait le fruit de la contraction d’un vieux français révolu : cap Diou « tête de Dieu ! »… mais puisque rien n’est sûr en ce bas monde, des recherches plus pointues me mènent enfin à l’ancien breton cad, signifiant « petit combattant ».
Voilà donc qui jette un peu de lumière sur la nature de cette fascinante créature !
Oui, en elle vibre la voix de l’éternel « petit », celui que l’âge n’atteint pas et sur lequel le temps glisse malgré lui… et que dire du « combattant », dont l’énergie, dans les moindres recoins de chacun de ses personnages, se déploie inlassablement.
Tel Ajax, cet autre courtaud mythique, Sophie embrase les scènes et en fait son empire. Mais Sophie, contrairement à ce guerrier impétueux, ne sera jamais engloutie par la colère des Dieux… car sa douceur candide la protège de la jalousie mortelle de ses collègues fatalement moins bonnes qu’elle.
Puisque la raison ne peut rien contre la beauté, tentons maintenant de saisir le secret de Sophie d’une autre manière ; par la poésie. Peut-être sortirons-nous enfin des ténèbres de notre envie d’être comme elle :
Sombre ? Jamais !
Obsédant oiseau rare
Petit combattant
Hardcore icône
Icône hardcore
Eh oui. C’est Sophie.
MAIS puisqu’il y a toujours un MAIS. Je te dirai gare à toi, éternelle lolita… tu as voulu faire du théâtre, soit. Prépare-toi parce que dans Toccate et Fugue, mon anonyme personnage va peut-être t’en faire manger toute une.
— Larissa Corriveau (de corvaux, « soldat mercenaire »)
De : 3900
À : Sophie Cadieux
Chère Sophie Cadieux,
Qu’est-ce qui fait que Larissa Corriveau est une meilleure comédienne que toi ?
Tout d’abord, c’est une question de physique. Svelte, mince, élancée, sa stature capte davantage l’attention sur scène. Puis si on lui rajoute sa voix profonde, étonnamment grave que je ne peux qu’envier (étant aux prises avec un appareil vocal de Chipmunk), c’est fatal. Le clou qui nous achève est cette satanée qualité de présence, d’inquiétante profondeur qui se dégage de son jeu.
Mais, enfin, n’est-ce pas le lot de toute la distribution de Toccate et fugue, rassemblée autour du fabuleux Florent Siaud ?
Je dis ça, je dis rien.
— Sophie Cadieux
De : 3900
À : Karine Gonthier-Hyndman
Chère Karine Gonthier-Hyndman,
Qu’est-ce qui fait que Mickaël Gouin est un meilleur comédien que toi ?
Excellente question.
Peu de gens savent ça, mais Mickaël a débuté sa carrière très tôt, je pense qu’il avait six ou sept ans. Figurant pour les séries Poivre et sel et Symphorien, il s’est rapidement fait adopter par le milieu artistique québécois.
Comme il est très sensible, je sais qu’on l’a ensuite recruté aux Grands Ballets canadiens où il a été Premier danseur pendant 3 ans, à mon souvenir.
Sa grand-mère était une impitoyable consommatrice d’art et l’a rapidement encouragé (forcé) à développer son appétit féroce pour la lecture de théâtre. Vers l’âge de quinze ans, il avait déjà interprété les plus grands rôles : Hamlet, Cendrillon et une des trois colocs dans Chop Suey.
Par la suite, il a suivi des cours de mouvements en Russie pendant plusieurs mois. C’est à cette période-là que Fidel Castro, l’ancien dirigeant de Cuba, l’a remarqué. Il commençait à devenir une sorte d’emblème communiste. Je pense vraiment que Mike est un travailleur acharné parce qu’il n’a pas hésité, après avoir appris le russe, à apprendre l’espagnol, et il est rapidement devenu une star de Horrorosos sufrimientos de la mente que lee al monstruo Pedros : Su maravilloso amor y su terrible odio y su gran interés por la sensualidad, une telenovela très populaire à Cuba.
Ce n’est qu’au début de l’âge adulte qu’en pleine crise identitaire, Mike a décidé de revenir au Québec pour être près des siens et pour développer sa carrière d’acteur ici. Il a dû recommencer au bas de l’échelle, animant ses fameuses soirées karaoké aux Galeries d’Anjou et devenant la voix des papiers hygiéniques Charmin.
Alors à la question Qu’est-ce qui fait que Mickaël Gouin est un meilleur comédien que moi, je répondrais que sa persévérance, sa détermination, son expérience et le fait qu’il soit heptalingue contribuent à faire de lui un acteur remarquable.
— Karine Gonthier-Hyndman
De : 3900
À : Mickaël Gouin
Cher Mickaël Gouin,
Qu’est-ce qui fait que Karine Gonthier-Hyndman est une meilleure comédienne que toi ?
Comment répondre à cette question de façon inspirée, alors que la réponse m’apparait si évidente. Et si on demandait à Daniel San, pourquoi Monsieur Myagi était meilleur que lui ?
Sagesse ? Caractère ? Élégance ?
Oui, mais non. Ce sont là des qualités que l’on attribue trop souvent à des publicités de voitures de luxe en essayant de les faire paraitre comme des objets poétiques, alors qu’il s’agit en vérité que de vulgaires véhicules de tôle. Karine est beaucoup plus… noble.
Noble, voilà !
Karine est noble.
Karine est un voilier.
Un voilier, noble et fier…
Délicat, sans être fragile…
Un grand voiler muni d’une coque solide et souple, aux courbes sensuelles, qui fend les eaux tumultueuses avec finesse et élégance. Un objet d’une grande délicatesse, mais tout de même capable d’affronter les tempêtes avec fougue. Un voilier qui avance droit devant à travers les courants impardonnables et la houle imprévisible, se frayant un chemin à travers ces mouvements ondulatoires irréguliers et déferlants, ne quittant jamais sa destination des yeux. Il avance fièrement.
Et moi qui n’ai pas le pied marin.
Moi, debout sur le quai, je le regarde passer.
Ce navire.
Ce navire qui reste léger et disponible dans la tumulte et l’infini vertigineux où bon nombre de marin ont malheureusement fait naufrage…
Moi, je le regarde.
Il tangue, s’adapte, glisse.
Il est patient.
Tant que le vent l’emporte.
Ses voiles sont grandes ouvertes.
Exposées, fragiles, mais grandes ouvertes.
Tant que le vent l’emporte.
Il avance fièrement.
Nous faisant presque oublié qu’il a peur lui aussi.
Qu’il n’est pas indestructible.
Tant que le vent l’emporte.
Et moi, je le regarde et l’admire d’être ce qu’il est.
— Mickaël Gouin