Le magazine
du Centre
du Théâtre
d’Aujourd’hui

photo Valérie Remise

Posséder ou partager ? N’y aurait-il pas dans cette simple question tous les défis économiques, politiques, culturels et environnementaux qui nous attendent ? Alors que nous avons construit nos vies, nos économies et nos politiques sur le premier, serait-il temps de mettre nos énergies sur le deuxième ?

Cette semaine, partout où je pose les yeux, les questions de possession et de partage surgissent.

Lundi. Lutte entre notre État et nos employées de la fonction publique fait rage. On les regarde s’entre-dévorer sur le dos de nos enfants alors qu’une grande part des avoirs des plus riches de notre pays s’évade dans les paradis fiscaux. On parle de juste part… On débat sur l’investissement public dans le projet C Series de Bombardier. À qui les profits ? À qui les pertes potentielles, surtout ? On révèle la contamination de sols montréalais qui dévalueraient de façon dramatique les propriétés qui y sont construites alors que ces analyses n’étaient pas divulguées par la ville. Qui paiera sa juste part ? On veut faire payer l’utilisateur-payeur d’un futur pont Champlain qui appartient pourtant au gouvernement canadien. Une seule facture ou des factures séparées ?

Mardi. J’entends dans la salle Jean-Claude-Germain un conte soufi dont l’enseignement pourrait régler, à lui seul, 95 % des problèmes de l’humanité, selon David Paquet. Ce conte met en scène deux voisins se disputant inlassablement un bout de terrain : « Il est à moi ! » dit l’un. « Non, à moi ! », dit l’autre. Comme ça, à l’infini. Jusqu’à ce que la terre elle-même prenne la parole pour les mettre en garde et leur dire : « Peu importe, car bientôt, tous les deux, vous serez à moi ! »

Mercredi. Je travaille sur ce nouveau projet de Guillaume Corbeil, Unité modèle, qui met toute son énergie à vendre la cause de l’accès à la propriété, dont les représentants vantent la prise de possession d’un condo inspirant liberté et bonheur. La course à l’acquisition, toujours. Alors que 20 000 condos sont actuellement inoccupés à Montréal… Et je lis également, sur le revers de couverture du tout nouveau roman de Fanny Britt, intitulé joliment Les maisons : « Cesse-t-on un jour de désirer ce que l’on a si ardemment voulu ? » Mercredi toujours, le débat sur l’autopartage et Airbnb qui menacent notre modèle économique basé sur les corporations ne désemplit pas.

Jeudi. Je lis ce matin un article sur mon​dia​li​sa​tion​.ca intitulé Posséder ou partager, le lien à la place du bien. Belle piste ! Je lis : « Aujourd’hui, c’est même leur propre automobile ou leur propre domicile que les jeunes proposent à la location. S’ils font ainsi le désespoir de nombreux industriels du transport ou de l’hôtellerie, d’autres y voient un détachement porteur d’espoir vis-à-vis des objets de consommation. Les plates-formes d’échange permettent une meilleure allocation des ressources ; elles atomisent l’offre, éliminent les intermédiaires et facilitent le recyclage. Ce faisant, elles érodent les monopoles, font baisser les prix et apportent de nouvelles ressources aux consommateurs. Location, cloud, copropriété, achats et investissements groupés. Réparation, recyclage, récupération, revente. Ce scénario propose une réponse pertinente à la crise économique et écologique, fondée sur l’énergie des gens et l’entrepreneuriat. »

Posséder ou partager ? Nous n’avons peut-être plus le choix de travailler sur cette deuxième option. En 1972, nous étions en-dessous de la capacité maximum de la Terre à supporter nos activités, à 85 %. Aujourd’hui : 150 %!!! La Terre suffoque. Je réentends les mots du conte « Bientôt, tous les deux, vous serez à moi ! » et ce « Nous sommes en 2015 », proclamé par notre nouveau premier ministre, qui semble rejeter les erreurs du passé et ouvrir un avenir prometteur.

Je poursuis ma lecture : « Arrive la fin d’une énergie divisée, pour une énergie distribuée. La Troisième Révolution industrielle va créer des citoyens globaux, dans une biosphère partagée, et nous reconnecter avec la planète. Cela va fondamentalement modifier tous les aspects de la façon dont nous travaillons, vivons et sommes gouvernés. Comme les première et deuxième révolutions industrielles ont donné naissance au capitalisme et au développement des marchés intérieurs ou aux États-nations, la troisième révolution industrielle verra des marchés continentaux, la création d’unions politiques continentales et des modèles économiques différents. »

Vendredi. Le choc. Les évènements terribles de Paris, mais aussi de Beyrouth et tout ce monde géopolitique qui transforme le Moyen-Orient en poudrière, en carnage confus, ces États-nations, justement, qui vendent depuis toujours des armes et qui bombardent à la fois ceux-là mêmes à qui ils vendent des armes… Ces États-nations qui calculent ce qu’ils auraient à gagner et à perdre en vendant des armes sur le même territoire qu’ils bombardent.

«2015 », vraiment ? Et toujours l’impasse.

Samedi. L’objectif du nouveau gouvernement sur l’accueil imminent de 25 000 réfugiés syriens envahit les médias et les réseaux sociaux. Je repense à cette phrase de Claude Lelouch dans Itinéraire d’un enfant très gâté : « Le monde du partage devra remplacer le partage du monde. »

Posséder ou partager ? « Nous sommes en 2015 » et poser la question, c’est y répondre.

Sources :
 — Chems Eddine Chitour, Posséder ou partager, le lien à la place du bien. (mon​dia​li​sa​tion​.ca)
 — Jeremy Rifkin, La thèse d’une troisième révolution industrielle (ener​zine​.com)
 — Daniel Kaplan, Posséder c’est dépassé. (fing​.org)

Lire plus sur Sylvain Bélanger
Facebook Twitter LinkedIn Courriel