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Pour sa deuxième année de résidence dans la salle Jean-Claude-Germain, Félix-Antoine Boutin a amorcé une réflexion sur les mythes. La première inspiration de sa nouvelle création Un animal (mort) est un conte indochinois, découvert au cours de ses recherches. Ce conte, héritage de la tradition orale, relate l’histoire d’amour entre Tor et Flor. La narration et les péripéties sont bien loin des contes auxquels nous sommes habitués. Ils incluent : un éléphant qui pleure et provoque une inondation, trois décès, deux résurrections, des moustiques à l’attaque d’un sexe masculin, une femme grandissant dans une orange, des hommes changés en coqs… Pour nous éclairer sur ce qui l’a attiré dans ce conte insolite et sur l’influence de celui-ci sur sa prochaine création, voici quelques échanges que Félix-Antoine Boutin a eus avec sa dramaturge Marilou Craft.

Chère dramaturge,

Le magasine 3900 m’a demandé d’écrire à propos du conte indochinois et de l’adaptation que j’en fais. J’ai voulu commencer à écrire, mais je n’ai trouvé qu’un titre : « se survivre ». J’ai besoin d’un interlocuteur, j’ai pensé à toi.

Merci déjà

F.


Cher splendide animal,

Alors je vais commencer simplement, avec ton titre.

Se survivre.

Il y a là quelque chose d’à la fois fataliste et magnifique. Survivre à soi-même parce que sa propre existence la rend impossible. Persister à mourir et ainsi persister à vivre. Vivre en point-virgule.

Est-ce là non seulement le point de départ de notre échange, mais celui de ta pièce aussi ?

À toi.

M.


Chère insatiable dévorante,

Oui. J’ai d’abord choisi ce conte pour cette raison ; la mort n’était pas une fatalité pour les personnages, c’était une mue vers autre chose. J’ai tenté d’adapter cette idée dans la forme même du spectacle. Je tente de parler de transmission, les personnes se racontent, mais racontent surtout une histoire qui les dépasse, qui les défait. Les personnages sont ainsi ce qui les précède et ce qui suivra, ils ne sont pas pris avec leur individualité, ils se survivent par le simple fait qu’ils portent une histoire plus grande, qu’ils inventent. Les personnages sont des porteurs, des transmetteurs maladroits qui n’ont pas de « je » à brandir comme un drapeau. Par le simple fait d’inventer une histoire qui se veut collective, ils tentent de se survivre afin de rester vivants dans la fiction, dans l’oralité de l’histoire racontée.

F.


Cher cher de chair chère,

Par le simple fait de s’inventer, tes personnages survivent. Par le simple fait de survivre, ils meurent. Et par leur simple mort, ils vivent.

Tes personnages se défont en se racontant, et pourtant ils persistent.

Dans le conte aussi se trouvent de tels paradoxes présentés comme faits à prendre tels quels. On se doit d’y adhérer pour croire en l’histoire, pour qu’elle puisse suivre son cours, pour qu’elle puisse exister. C’est d’une simplicité presque frondeuse : on dit qu’une chose est et elle est, elle se doit d’être. Une fiction-genèse.

Est-ce ce qui t’a attiré vers ce conte, et est-ce ce que tu as voulu adapter à la scène ?

M.


Chère tendre inventive,

Oui, j’ai voulu traduire cette parole qui fait tout exister simplement et sans complexe. C’est un conte qui a une imagerie très chargée : les éléphants pleurent et se noient, les filles poussent dans des oranges… Mais tout ça est livré avec un détachement certain, avec la foi que cet imaginaire est porteur de sens, sans y rajouter une aura de mystère. J’ai voulu mettre sur scène ce pouvoir si grand qu’a le théâtre de faire apparaître les choses, de faire vivre ce qui ne vit pas, d’inventer sans la barrière de la représentation réaliste des choses. C’est un beau rituel je trouve, que de se partager ce qui n’existe pas, de le faire naître, de le tuer, de le transformer. J’aime caresser la subjectivité qu’offre la parole ; celle qui permet de douter du réel, et d’en fabriquer un nouveau avec quelques branches. Je crois en l’artisanat de la fabulation, qui tricote la réalité maladroitement, mais sincèrement, avec beauté et chaleur.

F.


Cher petit frère de bois poussant dans une orange,

Alors j’ai hâte de rencontrer ton tricot fabulé sur scène, de voir en quoi il se rapproche et en quoi il décolle de ce conte si imagé.

À bientôt,

M.

En lien avec le spectacle Un animal (mort)
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