Le magazine
du Centre
du Théâtre
d’Aujourd’hui

Valérie Remise

Plusieurs le connaissent comme attaché de presse du Théâtre du Nouveau Monde — sa résidence secondaire depuis 1992 — , mais c’est constitutionnellement un artiste. Le comédien-chanteur-concepteur-metteur en scène Loui Mauffette qui nous a donné, entre autres merveilles, Poésie, sandwichs et autres soirs qui penchent, promet une abondance de saisissements avec Chansons pour filles et garçons perdus. Portrait.

Montréal, février 2018 (on se les gèle)

Dans le hall-bar du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, de beaux spécimens d’humanité — certains enrhumés : une trentaine de comédiens et comédiennes, de créateurs et créatrices de tous âges et horizons sont réunis pour la mise à feu du processus d’idéation d’un spectacle qui prendra l’affiche en mai… 2019. Les écharpes se dénouent ; le vin, les becs et les microbes circulent.

Loui Mauffette se lève, on dirait un chêne qui se déracine. Il annonce pêle-mêle ses intentions, rêve à voix haute. Il décrit un dispositif scénique qui associerait un radeau, un ring de boxe et une longue table ; il en appelle aux métaphores picturales (tiens, il mentionne Gilles Maheu et ses inoubliables Rail et Dortoir). Il visualise une galerie de personnages : une vieille ballerine, des acupunctrices, un gros docteur, des enfants à faces de Trump… ; il entend, par anticipation, des musiciens et des musiciennes en direct, des chansons de Monique Leyrac et de Dédé Fortin, une pléiade de textes à la langue bien pendue d’autrices et d’auteurs québécois, franco-canadiens et autochtones. Ah oui : par le biais, il ambitionne de rendre hommage au 50e anniversaire du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, qui a fait bouger les lignes de notre dramaturgie. En gros, pour son show, il requiert des collisions, des climats, des climax. À ces évocations, on reconnait sa patte, sa signature.

Ensuite, le créateur s’interroge sur la meilleure configuration à adopter pour la salle de manière à faciliter la communion avec l’auditoire. Le rapport au public constitue sa lubie. Il souhaite que le spectateur puisse plaquer son âme sur celle des interprètes, s’approcher au plus ras de la vibration, de la vérité du spectacle. Bref, beaucoup de séances de travail à venir. L’assemblée approuve, adopte le cahier des charges, couve le projet naissant. Comme toujours, chez Mauffette, poésie, musique, danse, humanité, sensualité feront sabbat. Au programme, en résumé : de la gravité, de la liesse, un rien de rogne, beaucoup de désirs.

Drôle comme deux singes, Loui Mauffette, c’est d’abord une vitalité, des piles inépuisables, une curiosité de scout. Adepte des marges culturelles comme des pratiques majoritaires, inféodé à aucun courant, mais intéressé par tous les mouvements, il a un pif sans pareil pour reconnaitre le bon grain de l’ivraie et recommander les plus accomplies productions en ville.

Fils d’un père tout-puissant — Guy (poète, comédien, animateur du fameux Cabaret du soir qui penche) — et d’une mère Courage — Louise, qui, tout en élevant sept enfants, organisait de grandes réceptions dans la maison de Vaudreuil — , Loui a hérité à la fois de l’art et de la manière de le communiquer.

« Il baragouine l’anglais, craint l’avion, ne copine ni avec les ordinateurs ni avec les chiffres, mais pour ce qui est de l’intuition, du bon gout et du jugement sûr, vous pouvez toquer à sa porte. »

Cet ado à perpétuité (de 60 ans tout de même), qui fonctionne à l’affectif, a les yeux d’un bleu non négociable, la voix telle un mélange de miel et de whisky, le coeur sur la main. Il baragouine l’anglais, craint l’avion, ne copine ni avec les ordinateurs ni avec les chiffres, mais pour ce qui est de l’intuition, du bon gout et du jugement sûr, vous pouvez toquer à sa porte. Il habite le square Saint-Louis, aime le vin blanc, la poésie russe, le souverain et l’esquinté. À la fois frivole et profond, tactile et pudique, taureau et tourterelle. Il y a de l’inguérissable en lui, de l’inapaisé, de la nostalgie « que j’essaie de rendre sexy », précise-t-il. Quand il parle, il saute-moutonne d’une idée à l’autre, mais on n’a qu’une envie : le suivre, même s’il ne semble aligné sur aucun des points cardinaux. Pas sûr qu’il soit bâti pour la terre ferme. Sa boussole, c’est l’instinct.

Il avoue : « Je suis compliqué, impulsif, émotif. Et je demande l’impossible aux gens autour de moi. » Ce qui ne semble pas incommoder sa troupe, au sein de laquelle il n’agit pas comme un maitre face à ses séides. Il parle plutôt d’un corps collectif, d’une cellule organique qu’il constitue en variant les talents, les carcasses, les sensibilités.

Mauffette en 7 dates

1980 : Diplômé en interprétation du Conservatoire d’art dramatique de Montréal
1984 : Finaliste au Festival de la chanson de Granby
1990 : Interprète de Charles Gill dans l’opéra Nelligan de Michel Tremblay / André Gagnon
1992 : Théâtre du Nouveau Monde, relations de presse

Créations

2006 : Poésie, sandwichs et autres soirs qui penchent (créé au Festival international de littérature et présenté chaque automne jusqu’en 2016)
2009 : Dans les charbons (spectacle inaugural du nouveau Théâtre de Quat’Sous)
2012 : Est-ce qu’on pourrait pleurer un tout petit peu ? (Festival international de littérature)

Poésie, sandwichs et autres soirs qui penchent, Dans les charbons, Est-ce qu’on pourrait pleurer un tout petit peu ? : depuis 2006, Mauffette invente des cérémonies dionysiaques, de féeriques happenings qu’on ne veut jamais quitter, dans lesquels il fait place aux silences entre les mots, aux pliures de l’espace, aux interstices où se nichent les oiseaux. Alors que l’époque exige de la vitesse et du buzz, lui répond par de l’invisible et de l’apesanteur. Dans ses spectacles, il ouvre des tiroirs secrets, cherche quelque chose derrière les choses. Il demande tout — le ciel, l’enfer, l’infini — et obtient davantage.

Plus sensitif que théoricien, plus enthousiaste que cartésien, Loui Mauffette est un créateur parfaitement inactuel et résolument contemporain. À rebrousse-mode peut-être, mais touchant tout près des nerfs, jusqu’aux petits cartilages du coeur. Ce n’est pas un artiste du coin du feu. Vouloir qu’il entre dans le cadre, qu’il suive les règles ? Aussi bien demander au lion de devenir herbivore ! « Je déteste qu’on me dise quoi faire et quoi penser. » Vous n’apercevrez jamais l’ombre de la queue d’une leçon dans ses oeuvres.

Chansons pour filles et garçons perdus (titre emprunté au livre de son père, Chanson pour garçon perdu) s’inscrira bien sûr dans la filiation des précédents spectacles. « Mes shows sont tous différents, mais ils viennent du même père et de la même mère », déclare-t-il. Il en ira donc de son imaginaire et de ses fétiches, des bêtises et des épiphanies de l’enfance, des tribulations de l’adolescence, de l’amour et de la mort. « Où est-ce qu’on va quand on meurt ? » La question turlupine l’artiste, la faucheuse ayant commencé à recruter pas mal dans son entourage.

Au moment de notre rencontre pour ce portrait, Loui se coltinait le trac, le syndrome de l’imposteur, les remises en question, la peur de ne pas être en phase avec son désir artistique. Il prévient : « Le définitif m’angoisse. Quand les pièces du casse-tête semblent toutes à leur place, il peut me prendre l’envie de changer de casse-tête. » Comprendre par là qu’il peut, à la veille de la générale, mettre du désordre dans la maison !

Reste que le soir de la première, un spectacle choral, alliant la fête et la pensée, la chair et l’esprit, aura lieu. Des mots seront dits qui nous donneront envie de prendre soin les uns des autres. Pour avoir vu toutes les réalisations de Loui Mauffette, je peux dire que vous mangerez des arcs-en-ciel et aurez tout au long de la représentation le sourire suspendu aux larmes.

De l’enfance, qui constelle toutes les créations de Loui Mauffette :

« À quatre ans, au grand désarroi de ma mère, je piquais des colères inouïes, renversais la bibliothèque de mon père, grimpais sur le toit. Mon enfance fut un mélange de rêve et de cauchemar. Le rêve, c’était la famille, les fêtes autour de la table. Le cauchemar, c’était l’école. À six ans, j’étais déjà un martien. Peut-être même un autiste ; je me suis autoguéri à 60 % ! Quand, enfant, tu détestes le sport, on te traite de fifi, on te rejette. Je me tenais avec les filles, que je trouvais plus délurées, plus intelligentes. J’étais évidemment celui qui se faisait battre dans la cour de l’école ; dans le spectacle, je vais me venger de ceux qui m’ont intimidé, joué de vilains tours. C’est Diane Dufresne, une des femmes importantes de ma vie, qui m’a appris à devenir un homme. Elle m’a montré comment enfiler des gants de boxe. »
– Propos recueillis par A.D.
En lien avec le spectacle Chansons pour filles et garçons perdus
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