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Les langues sont souvent composées de mots-concepts dont le sens ne se révèle à la traduction que par de longues explications. En collaboration avec le Jamais Lu, notre artiste en résidence Émilie Monnet propose 13 mots : un lexique de mots autochtones qui donnent un sens, inspiré de 26 lettres : abécédaire des mots en perte de sens d’Olivier Choinière. Treize artistes autochtones s’emparent tour à tour d’un mot-concept et lui insufflent une définition plus personnelle, tout en embrassant ses multiples couches de sens. Pour faire écho à cet évènement exceptionnel, nous avons sollicité le public afin de trouver des mots intraduisibles issus d’une foule d’autres langues.

1 — Ungapaa
Inuktitut

La description la plus proche serait : je ressens de la « prénostalgie ». Un sentiment de prénostalgie, comme voulant ne pas quitter l’être aimé ou un objet quelconque. Exemple : tu as passé toute une semaine chez tes parents au Lac-Saint-Jean. Le jour où tu quittes pour rentrer à la maison à Montréal, tu n’as justement pas envie de partir, tu vas avoir ce sentiment d’ennui, un manque, un « je m’ennuie déjà ».

2 — Like
Anglais

L’un des mots les plus simples et les plus employés de la langue anglaise (surtout à l’époque des réseaux sociaux) demeure pourtant intraduisible en français qui ne connait que l’amour (love). Comme si en français l’amour était total ou ne l’était pas. Les francophones ne connaissent pas le « petit amour » ou « l’amour amical »… sous la forme de verbe du moins ! 

3 — Hìpoda
Bassa (Cameroun)

Mot en bassa qui signifierait « cadeau minimum », la plus petite chose à offrir lors d’un évènement. Il a aussi une autre signification plus large : c’est une donation symbolique d’une bouchée ou d’une petite portion d’un mets sacré (comme le boa serpent, le foie d’un poulet, la vipère, la tortue, etc.)

4 — Yètèkolonyi
Soussou (Guinée)

Se connaitre pour bien se comporter. Envers soi, cela implique par exemple de ne pas tomber dans les excès, d’éviter de poser des actes qui te dévalorisent ou jettent la honte sur toi, d’avoir confiance en soi sans se surestimer. Puis envers les autres, ça sous-entend avoir une utilité sociale dans la mesure du possible, respecter le prochain, savoir interagir avec l’entourage.

5 — Ayıp
Turc

Il est traduit par les mots « honte » ou « honteux », mais il n’existe pas de mot en français pour le désigner. Il est in-tra-dui-si-ble. C’est une notion inculquée par les traditions ou rituels. Tous les interdits non dits sont cachés dans ce mot qui englobe ignominie, déshonneur, immoralité, mauvaise réputation, répugnant moralement, caractère de ce qui est obscène, défaut de caractère, offensant et bien d’autres mots. Tout ça dans un seul adjectif…

6 — Saudade
Portugais

Un mot intraduisible en français. Un mot qui existe depuis si longtemps dans la culture portugaise qu’il serait à l’origine de tous les mythes. Définir la saudade, c’est aussi difficile que d’expliquer un sentiment. Mais plusieurs s’entendent pour dire que la saudade est une nostalgie profonde, accompagnée d’espoir ou de désir. La nostalgie de quelqu’un ou de quelque chose qu’on a aimé, d’un moment qui ne reviendra plus. Y repenser avec un sourire sur les lèvres, le cœur heureux de se souvenir, avec l’espoir parfois impossible d’y revenir. Avoir saudade de son enfance par exemple. Le fado est l’expression musicale de la saudade.

7 — Chingpontong
Créole martiniquais

Mauvais état ou état de délabrement. S’utilise pour parler d’un objet devenu irrécupérable. Par exemple, on parlera d’une voiture en chingpontong pour parler d’un véhicule accidenté et qui ne peut plus rouler. Pour une personne, cela traduit un état de fatigue physique très important qui peut nécessiter une convalescence plus ou moins longue.

8 — Ragouler
Créole réunionnais

Le fait d’avoir mangé quelque chose jusqu’au dégout.

9 — Kopfkino
Allemand

(Kopf : tête / Kino : cinéma) Ce sont tous les petits films que l’on se fait dans la tête au quotidien, qui ne durent souvent que quelques secondes et sont des projections fictives partant du réel. Ils peuvent être aussi bien dramatiques ou heureux comme… cette magnifique personne inconnue qui vient d’entrer dans le restaurant et qui bientôt vous prendra la main pour vous emmener loin de cet ennuyant diner sur une musique de Hans Zimmer.

10 — Tarapatakan
Basque

Son étymologie ne fait que référence au son (prononcez-le à voix haute, vous allez comprendre). Ça signifie : à la manière un peu tout croche, rapide, gauche, tonitruante, bim bam boum. C’est comme quelqu’un qui arrive en s’enfargeant dans des casseroles. Ce n’est pas une onomatopée en basque, mais un mot.

11 — You’bourni
Arabe (Levant)

Ce qui veut dire littéralement « qu’il/elle m’enterre ». Mais ce n’est pas du tout morbide, c’est une expression d’amour qu’on dit aux gens, ça signifie que tu l’aimes tant que tu n’imagines pas ta vie sans cette personne, tu espères donc mourir avant elle.

12 — Brìgh
Gaélique écossais

Brìgh est un mot gaélique écossais qui signifie la sève dans une plante ; cela signifie également le bouillon d’une soupe et la force vitale, la vertu ou l’énergie d’une personne ; c’est le sens d’une histoire, d’un rêve ou d’une chanson et le but d’une action ; c’est le moment critique qui détermine qui gagne et perd un match ; brìgh est l’essence ; brìgh-ceirt est la justice.

13 — Yuugen
Japonais

C’est un mot qui vient de l’art ancien japonais et qui correspond vraiment à la culture du pays. C’est très difficile à traduire, mais cela renvoie à « la profondeur implicite et mystérieuse de l’univers ». La compréhension du yuugen est ce qui a mené beaucoup d’artistes à élaborer des œuvres qui, sous une apparente simplicité, offrent des sens cachés. Ce n’est ni faire appel à l’imaginaire, ni raconter les choses de manière concrète, c’est une sorte d’entre-deux assez subtil. Il y a bien sûr une grande influence bouddhiste derrière ce mot et cela se retrouve beaucoup en poésie.

14.1 — Jeong
Coréen

Une sorte de compassion pour les autres êtres humains.

14.2 — Han
Coréen

Une haine très, très profonde, une rancoeur immense qui s’est accumulée.


Merci aux contributeurs et contributrices du lexique : Yassine Ben Abdallah, Sylvie de Morais, Mélodie Duplessis, Saadet Ersin et Zeynep Peker, Xavier Inchauspé, Csilla Kiss et Iain MacKinnon, Bernard Lagier, Natsuki Lambert, Atna Njock, Leila Revellin, Salématou Sakho.

Émilie Monnet
Artiste en résidence
Née d’une mère anishinaabe et d’un père d’origine française, Émilie Monnet embrasse à travers ses performances et les œuvres qu’elle produit une démarche artistique ancrée à même ses origines et sa culture autochtone. Activiste et artiste interdisciplinaire, elle fonde en 2011 les Productions Onishka, afin de tisser des liens entre artistes de différents peuples autochtones, toutes disciplines confondues. Se servant de la technologie pour rendre à voir l’invisible, elle explore le langage, l’identité fragmentée des peuples autochtones, ainsi que notre rapport à la mémoire et au legs culturel.

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